Le Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise met en lumière l’engagement du gouvernement à ne pas oublier les pionniers culturels du pays.
En septembre 2017 s’est tenu à Taipei le Congrès national de la culture, couronnant une année de forums régionaux initiés à travers le pays. La rencontre était la première du genre organisée par le ministère de la Culture, avec l’objectif de faire avancer la vision de la présidente Tsai Ing-wen [蔡英文] pour la renaissance culturelle de Taiwan. Cela a abouti à l’annonce du Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise, qui s’inscrit dans le Plan de développement des infrastructures d’avenir. Ce dernier est une initiative d’envergure visant à répondre aux besoins nationaux en infrastructures clefs pendant les 30 prochaines années.
L’établissement du Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise marque un tournant pour l’histoire de l’art à Taiwan, en la distinguant de celles des pays voisins, estime Liao Hsin-tien [廖新田] qui dirige le bureau du ministère de la Culture en charge du programme. Mais le chemin parcouru jusque-là n’a pas été facile et la reconnaissance ne fut possible qu’après plusieurs décennies d’efforts de la part d’individus dévoués, qu’ils travaillent dans le secteur public ou privé.
Sortir des sentiers battus
L’un des premiers à avoir considéré l’histoire de l’art taïwanaise à part entière est Hsieh Li-fa [謝里法], avec la publication à partir de 1976 d’une série d’articles plus tard réunis au sein du livre L’histoire des courants dans les beaux-arts à Taiwan pendant l’occupation japonaise [日據時代臺灣美術運動史]. Une source majeure de cet ouvrage de référence fut le poète Ong Pek-ian [王白淵], en activité pendant la période coloniale japonaise (1895-1945).
Le livre de Hsieh Li-fa documente les artistes et les groupes artistiques qui prirent part à un mouvement plus large visant à se libérer des politiques coloniales assimilationnistes instaurées par le Japon. La gouvernance japonaise a été rapidement suivie, après la prise de contrôle de Taiwan par la République de Chine, d’une période de loi martiale qui a démarré en mai 1949 pour se terminer en juin 1987 sur l’île principale de Taiwan et en novembre 1992 dans les îles périphériques des districts de Kinmen et de Lienchiang. Pendant cette période, l’accent a été mis sur les recherches relatives à la calligraphie et à la peinture chinoises. C’est seulement dans les décennies les plus récentes que de nombreux universitaires ont porté leur attention sur la production artistique locale, amenant même certains d’entre eux, parmi lesquels Liao Hsin-tien, à fonder en 2016 l’Association pour l’histoire de l’art taïwanaise.
Des organisations du même type ont été créées pour faciliter les échanges avec d’autres pays comme la Chine, la Corée du Sud, l’Espagne, la Suisse, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. « Taiwan n’a peut-être pas une tradition bien établie en matière d’histoire de l’art mais il n’est jamais trop tard pour commencer », s’enthousiasme Liao Hsin-tien, en soulignant qu’une récente étude réalisée auprès des Taïwanais a montré que 70% des répondants connaissaient moins bien l’histoire de l’art taïwanaise que celles de la Chine et des pays occidentaux. « Cela peut expliquer pourquoi les expositions mettant en avant les artistes étrangers rencontrent plus de succès auprès du public », ajoute-t-il.
Une carte des arts à Taipei contenant des codes QR a été réalisée par le Musée national d’Histoire afin de fournir des informations sur les sites culturels de la ville. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)
Trouver son public
Afin de mieux informer le public sur la diversité des traditions artistiques à Taiwan, celles-ci comprenant des éléments des cultures austronésienne, chinoise, occidentale, japonaise et d’Asie du Sud-Est, le Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise s’appuie sur des collaborations avec différentes institutions à travers le pays pour organiser des forums, des expositions et des ateliers sur l’histoire de l’art locale. Parmi ces établissements se trouvent le Musée national d’histoire et le Musée de l’Université nationale d’éducation de Taipei (NTUE) ou encore le Musée d’art de Tainan.
La NTUE a été établie pendant l’occupation japonaise dans le but de former les professeurs, mais elle a ensuite acquis une certaine réputation pour avoir accueilli plusieurs des futurs grands artistes du pays, comme le sculpteur Huang Tu-shui [黃土水].En 1920, celui-ci devient le premier artiste taïwanais à être sélectionné pour participer à l’Exposition impériale du Japon. La même année, il crée un buste de jeune fille en marbre dont il fait ensuite don à l’école élémentaire Taiping de Taipei.
Quand l’ancienne directrice du Musée des Beaux-Arts de Taipei, Lin Mun-lee [林曼麗], a vu cette œuvre, elle a réalisé sa valeur et s’est mise à chercher un nouveau lieu d’accueil, mieux adapté sur le long terme. La statue tout juste centenaire a été déplacée en 2020 au musée de la NTUE, un lieu que Lin Mun-lee avait par ailleurs contribué à créer quand celle-ci était professeure au département d’art et de design de l’école. Après quelques travaux de restauration, la sculpture est visible à partir d’octobre 2020 dans le cadre d’une exposition qui présente les pionniers de l’art taïwanais et leurs maîtres japonais.
Empruntant son nom à un écrit de Huang Tu-shui intitulé The Everlasting Bloom [不朽的青春], l’exposition s’inscrit dans le cadre d’un programme de deux ans en faveur du patrimoine artistique qui vise à conserver les œuvres d’importance nationale grâce au soutien du Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise. « Le temps presse pour retrouver ces œuvres, car elles passent souvent de collectionneurs à collectionneurs sans être conservées dans les meilleures conditions », s’inquiète Lin Mun-lee.
Aujourd’hui à la tête de la Fondation nationale pour les arts et la culture, Lin Mun-lee considère que l’art taïwanais souffre d’un problème de visibilité. Elle appelle pour cette raison à la création de musées locaux et nationaux spécialisés dans l’histoire de l’art nationale. « Nous devons construire un écosystème promouvant les artistes taïwanais si nous voulons que le public s’y intéresse », insiste-t-elle.
Le Musée d’art de Tainan a ouvert ses portes l’an dernier et met en avant la longue histoire culturelle de cette ville du sud de Taiwan. (Photo : Pang Chia-shan / MOFA)
Un nouvel espoir
Le Musée d’art de Tainan fait partie des institutions dont la mission va justement en ce sens. Son directeur Pan Fan [潘襎] considère que Tainan est le lieu idéal pour cela étant donné que la ville a longtemps été le centre névralgique de la culture taïwanaise. Il note en outre que le Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise constitue le premier investissement public de grande ampleur en faveur de l’histoire de l’art du pays. « Cela montre une détermination à forger une identité culturelle nationale, estime Pan Fan. L’action du gouvernement permet de créer une nouvelle vision pour l’avenir. »
Etant l’un des principaux bénéficiaires de cette nouvelle orientation politique, le Musée d’art de Tainan s’est donné pour mission de construire un vivier de spécialistes de l’histoire de l’art taïwanaise en proposant des formations pratiques. D’après Pan Fan, de nombreux commissaires d’exposition et universitaires connaissent peu les artistes taïwanais d’avant la Seconde Guerre mondiale. Afin de combler ce manque, des expositions permanentes devraient bientôt voir le jour pour présenter des peintres comme Chen Cheng-po [陳澄波], Kuo Po-chuan [郭柏川], Kuo Hsueh-hu [郭雪湖], Hsu Wu-yung [許武勇], Shen Che-tsai [沈哲哉] et Hong Tong [洪通]. « Nous montrons à nouveau leurs œuvres de façon à les faire découvrir à public moderne », explique Pan Fan.
Le modèle du Musée d’art de Tainan sert aujourd’hui d’exemple pour la construction d’institutions similaires dans la ville portuaire de Keelung ou encore dans la métropole de Taichung. Le directeur général du Musée national d’histoire, Liao Hsin-tien, juge cela de bon augure pour le développement futur de l’histoire de l’art à Taiwan. Il attend également beaucoup des enseignements à venir en la matière grâce à une collaboration entre le ministère de la Culture et celui de l’Education. « L’histoire de l’art est un sujet souvent négligé, regrette-il. J’espère que cette perception va changer dans les années à venir. »
En tant que directeur du bureau du Projet de reconstruction de l’histoire de l’art taïwanaise, Liao Hsin-tien anime une émission hebdomadaire sur la station de radio de l’Education nationale. Présenté en taïwanais (ou holo), le programme met à l’honneur des artistes de l’histoire du pays. Pour son présentateur, il s’agit d’une opportunité de se souvenir des pionniers de l’identité artistique taiwanaise. « La société a besoin de conserver la mémoire de ses propres talents, insiste-il. Nous le devons aux générations futures. »